Prisons : les avocats demandent des comptes aux juges

La nouvelle Garde des sceaux a clairement affiché sa volonté de rompre avec la politique du « tout-carcéral » imposée frénétiquement par l’ancien Président de la République pendant cinq ans. Les annonces relatives à la suppression de la rétention de sureté et des peines planchers sont conformes aux engagements présidentiels, et succèdent à la circulaire du 19 septembre 2012 par laquelle Madame le Garde des sceaux demandait aux magistrats du parquet de « veiller à l’état de surpopulation carcérale » et affirmait que « le recours à l’incarcération doit être limité aux situations qui l’exigent strictement ».

En dépit de cette volonté politique affichée de désengorgement des maisons d’arrêt et des centres pénitentiaires, l’augmentation de la population carcérale se poursuit inlassablement (+0, 9 % en octobre 2012 ; + 0, 8 % en novembre 2012), parce qu’indépendamment de la teneur des textes, ce sont d’abord et avant tout les femmes et les hommes qui composent une juridiction qui choisissent d’incarcérer ou non un individu. Et les magistrats ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité en se cachant derrière l’interprétation de certains textes.

Auteurs d’un manifeste intitulé « la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris en accusation », nous avons rassemblé les signatures de plus d’une centaine de confrères en moins d’une semaine pour dénoncer les décisions de cette juridiction qui n’a de cesse de confirmer les placements en détention provisoire des présumés innocents et d’infirmer leur placement sous contrôle judiciaire. En réponse à ce manifeste, l’Union syndicale de la magistrature s’est contenté de rappeler « aux avocats concernés qu’ils sont des auxiliaires de justice, soumis à des obligations déontologiques ». Les magistrats se sont sentis « injustement attaqués » poursuit l’Union Syndicale de la Magistrature dans un réflexe corporatiste, avant de demander à Madame le Garde des Sceaux de condamner ces « pressions déplacées » et de leur « apporter un soutien explicite ».

C’est justement parce que nous sommes des auxiliaires de justice que nous ne pouvons plus, par notre silence, cautionner la pratique de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris. Nous acceptons donc d’être poursuivis déontologiquement pour avoir dénoncé cette jurisprudence constante qui conduit à l’inévitable augmentation d’une population carcérale présumée innocente. Et nous mettons au défi la chancellerie de publier les statistiques relatives aux décisions de cette juridiction, où il n’est pas rare de constater lors d’une audience la confirmation de l’intégralité des placements ou des prolongations de détentions provisoires.

Le respect effectif de la présomption d’innocence et la volonté personnelle de chaque magistrat de ne recourir à la détention provisoire qu’en tout dernier ressort permettront un désengorgement efficace des prisons bien plus que les réformes engagées ou à venir. Si la population carcérale augmente dans de telles proportions, c’est aussi parce que les magistrats, dans leur frilosité, n’envisagent bien souvent pas d’autres solutions que l’incarcération. Et il est vain de s’apitoyer et de geindre sur l’état des prisons sans se pencher sur le pourquoi de la surpopulation carcérale.

En France, plus de 16 000 détenus attendent d’être jugés, et le nombre des détentions provisoires a augmenté de 10 000 entre septembre 2010 et septembre 2012. Madame le Garde des Sceaux peut parfaitement voler au secours des magistrats prétendument attaqués en leur apportant un « soutien explicite », mais ce serait au risque de voir sa parole totalement décrédibilisée, ne pouvant toute à la fois affirmer sa priorité de voir les prisons désengorgées et soutenir une juridiction qui contribue fidèlement et de façon permanente à l’inflation carcérale.

Nous invitons pour notre part Madame le Garde des Sceaux, non pas à soutenir les uns ou à condamner les autres, mais à réfléchir à ce qui empêche un véritable désengorgement des prisons au gré des textes votés ou amendés : la résistance et le réflexe de certaines juridictions, que les réformes passées ou à venir n’ont jamais su influencer.

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