Le Contrôleur général décrète l’urgence aux Baumettes

JUSTICE – C’est une procédure exceptionnelle, que le contrôleur général des lieux de privation de liberté n’avait utilisé jusque-là qu’une seule fois. Jeudi, il va publier des recommandations en urgence au sujet des Baumettes, centre pénitentiaire marseillais, compte tenu de la violation grave des droits fondamentaux des détenus (on appelle aussi cela des traitements « inhumains et dégradants »). Après deux semaines d’inspection le mois dernier, par Jean-Marie Delarue lui-même et 19 autres contrôleurs, cette disposition a été retenue compte tenu du tableau accablant découvert sur place…

Les contrôleurs sont restés aux Baumettes du 8 au 19 octobre 2012. Leur venue avait provoqué une jolie panique, l’administration pénitentiaire se retrouvant avec vingt contrôleurs à gérer, dans un établissement qu’elle sait totalement hors norme, terriblement privé de moyens. Construite avant guerre, la maison d’arrêt, qui occupe l’essentiel de l’espace, est dans un état sanitaire dégueulasse. Les détenus s’y entassent (environ 1800 ces temps-ci, pour moins de 1200 places théoriques désormais), partagent l’espace avec les rats, manquent notoirement de place, de travail et d’activités.

Institué en 2007, le contrôleur général est une autorité administrative indépendante. Il est irrévocable et ses équipes ont toute liberté pour travailler dans les établissements privatifs de liberté. Elles peuvent effectuer des visites inopinées (dans les trois quarts des cas), notamment lorsqu’elles sont informées de dysfonctionnements graves et précis. Elles peuvent aussi annoncer leur venue, ce qui permet de faire passer l’information auprès des détenus et des personnels, d’informer ceux qui souhaitent rencontrer un contrôleur ou nourrir le travail par un courrier, dans un strict anonymat. C’est ce qui s’est passé pour les Baumettes.

D’ordinaire, à l’issue du contrôle, le contrôleur général des lieux de privation de liberté synthétise le travail de tout le monde et adresse aux ministres concernés ses observations. Les ministres formulent à leur tour des observations qui sont annexées au rapport final, généralement livré quelques mois après la visite. Mais la loi qui a créé le contrôle (ici) prévoit une procédure d’urgence. S’il constate une «violation grave des droits fondamentaux d’une personne privée de liberté», le contrôleur général peut choisir de communiquer sans délai aux autorités ses observations en urgence. Le contrôleur impartit aux ministres un délai pour faire cesser ces «violations graves». Il vérifie ensuite s’il y a été mis fin et publie sinon ses recommandations au Journal officiel. Dans le cas des Baumettes, les ministres ont été saisis le 12 et le 16 novembre. Ils avaient trois semaines pour répondre, le délai s’achève demain. Les recommandations seront théoriquement publiées jeudi au JO.

Jean-Marie Delarue avait choisi cette procédure une première fois l’an passé, après une visite inopinée de quatre contrôleurs pendant une semaine à Camp Est, surnom d’une prison de Nouméa. Les conditions étaient épouvantables, dépassaient « l’entendement », écrivait-il (lire les recommandations du contrôleur). Elles ressemblaient beaucoup à ce que les anciens détenus et surveillants racontent des Baumettes.

La prison marseillaise a déjà été contrôlée plusieurs fois, jamais encore par le contrôle général (qui visite en moyenne 150 établissements par an, prison, lieux de rétention, de garde-à-vue, établissements de santé, etc.) En revanche, des rapports alarmants avaient déjà été rédigés sur le lieu. Par le Comité européen de prévention de la torture en 1991 (lire) et 1996 (lire). Par une délégation du Sénat en 2000. Par le commissaire européen aux droits de l’homme en 2005 (lire). A chaque fois, des constats alarmants, des mots extrêmement durs. En 2005 par exemple, Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux droits de l’homme, notait dans son rapport: «Le maintien de détenus aux Baumettes me paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine.» Il confiait alors n’avoir «vu de prison pire» que les Baumettes, «sauf en Moldavie» (Interview du 22 septembre 2005 à Libération ). Six ans plus tard, Marseille reste le Chisinau de l’administration pénitentiaire.

Olivier Bertrand

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